Ce n’est pas la démocratie qui meurt, c’est Julian Assange

URL des Originals: 
https://nantes.indymedia.org/articles/49062
Originalsprache: 
Zielsprache: 
Autor des Originals: 
Geoffroy de Lagasnerie
Übersetzungsautor: 
Katonym
Neuer Titel: 
Nicht die Demokratie stirbt, sondern Julian Assange
Neuer Abstract: 
Julian Assange, Edward Snowden, Sarah Harrison, Chelsea Manning: Wir haben es mit einer Klasse von Dissidenten zu tun, die zu den Waisen der Zukunft und Gegenwart gehören. Dieser Text wurde am Abend zur Unterstützung von Julian Assange gegen seine Auslieferung, die am 20. Februar 2020 in Paris stattfand, vorgelegt.

Dans un texte publié en 1986, Jacques Derrida avance qu’il y a des moments de l’humanité où le destin de certains individus en viennent à incarner ce qu’il appelle le “destin de l’humanité” -le tout du monde. Leur vie condense une situation dans laquelle chacun sent qu’il en va de la gouvernementalité générale, de l’économie des forces à l’œuvre dans le monde et à laquelle chacun d’entre nous est, malgré soi, exposé. Derrida affirme que, alors qu’il écrit ce texte en 1986, celui dont la vie synthétise ce tout du monde, c’est Nelson Mandela. Il mentionne aussi ce qui se passe en Palestine-Israël. Je pense que ce qui se passe, aujourd’hui, autour de Julian Assange représente ce type de situation où le destin de l’humanité est en jeu. Ce qui lui arrive est aussi important et devrait susciter la même indignation mondiale que celle de Nelson Mandela. Il en va aussi dans ce combat de la protection de la vie et de la mise à mort, de la guerre et de l’État, du droit et de la justice. Il en va aussi d’ailleurs de la question raciale. On pourrait en effet expliquer le fait qu’Edward Snowden suscite une plus grande sympathie en Europe ou aux États-Unis qu’Assange par le fait que les fuites faites par Snowden impliquaient des Occidentaux blancs, alors que beaucoup de celles de WikiLeaks impliquaient des Yéménites, des Afghans, des Irakiens....

Le procès pour extradition de Julian Assange s’ouvre lundi 24 février au Royaume-Uni. S’il est extradé vers les États-Unis, il risque 175 ans de prison pour “espionnage”. Julian Assange est aujourd’hui, comme l’a écrit Éva Joly dans Le Monde il y a quelques semaines “en danger de mort”. Il subit ce qui s’apparente à des tortures psychologiques et physiques de la part du Royaume-Unis. Entre 2012 et 2019, il était reclus dans l’Ambassade d’Équateur à Londres, et il n’a pas pu pendant ces 7 ans sortir, se balader, voir le soleil, ce qui a durablement affecté sa santé.

Assange s’inscrit dans l’histoire de la dissidence politique –mais d’une manière extrêmement particulière. Car d’ordinaire, les dissidents politiques venus du bloc de l’Est, de la Chine, de la Russie, de Cuba, de l’Afrique du Sud, pouvaient envisager comme lieux d’accueil possibles les pays occidentaux comme les États-Unisou l’Angleterre. Ils pouvaient constituer ces pays comme des modèles de droit et de démocratie et fonder leur opposition aux régimes dans lesquels ils vivaient en convoquant ces exemples. Mais quel modèle peut invoquer Julian Assange, mais aussi Edward Snowden, Sarah Harrison, Chelsea Manning, quand ce sont les pays mêmes qui semblaient incarner une sorte d’idéal qui deviennent le lieu d’exercice de la persécution politique et de l’injustice?

Nous avons ici affaire à une classe de dissidents orphelins de tout futur et tout présent. Est-ce que le destin de ces individus ne montrerait pas que nous arrivons aujourd’hui à la fin d’une certaine histoire de la démocratie, c’est-à-dire à un moment où toutes les valeurs sur lesquelles nous fondions d’ordinaire nos pratiques, sont en crise? Nous ne pouvons que très difficilement défendre ces figures en invoquant les valeurs d’État de droit puisque ce sont précisément des états qui se réclament de ses notions qui les persécutent. L’emprisonnement de Assange est légal et conforme à l’état de droit, la torture de Chelsea Manning et son nouvel emprisonnement sont légaux, la menace de la prison pour Snowden et la privation par les tribunaux américains de sa capacité de percevoir les droits d’auteur de son livre sont fondés légalement. Et ces décisions sont rendues non pas des gouvernements mais par des magistrats que nous disons indépendants et dont nous nous battons souvent pour protéger l’indépendance. Nous ne nous situons pas ici dans un état d’exception mais dans une manifestation de l’état du droit. Ce sont donc toutes nos catégories habituelles qui vacillent. Par exemple, nous devons nous méfier de notre utilisation de la catégorie de légalité et de crime. Mettre en question les illégalismes d’État révélés par WikiLeaks est efficace pour justifier les pratiques d’Assange, mais nous ne devons pas oublier qu’il y a sans doute aussi des illégalismes commis de notre côté, que la frontière n’est pas claire et que par conséquent nous devons aussi être capables d’élaborer nos analyses sur d’autres critères.

Aujourd’hui, l’urgence est de nous mobiliser pour Julian Assange, autour de Julian Assange, sans nuance. Je remarque parfois l’existence d’une tendance à ne pas vouloir placer Julian Assange au centre de l’attention. On le met avec d’autres ou on l’inscrit dans un ensemble de causes plus larges: les lanceurs d’alerte, le journalisme, le droit à l’information, la démocratie. Or il faut qu’à un moment ce soit de lui que nous parlions. Beaucoup de gens expriment des réticences à son endroit. Ils disent qu’ils le soutiennent malgré le fait que ce serait un personnage trouble, malgré tout ce que l’on peut penser de lui, malgré les déclarations qu’il a pu faire sur la Russie, Trump ou Hillary Clinton... On a tendance alors à rabattre la défense de sa cause sur des problématiques plus consensuelles, comme si nous voulions le séparer de ce qu’il est pour le défendre et donc comme si, en fait, nous voulions défendre autre chose que lui à travers lui: la liberté de la presse, la démocratie, l’information. 

Mais aujourd’hui ce n’est pas la liberté de la presse qui est en danger: c’est Julian Assange. Ce n’est pas la démocratie qui meurt, c’est Julian Assange.

Le fait qu’il est persécuté ne pourrait-il pas d’ailleurs s’expliquer par le fait qu’il a bousculé les valeurs traditionnelles que, paradoxalement, nous utilisons pour le défendre: la manière instituée de pratiquer le journalisme, les formes classiques de révolte contre la violence d’État, les modalités de contrôle de l’espace public et de la circulation publique des documents, la notion d’intérêt général. Autrement dit, il ne faut pas que la défense d’Assange soit l’occasion d’une restauration des valeurs traditionnelles. Car c’est au contraire là où Julian Assange trouble ces valeurs que se situe la vérité de ce qui se passe aujourd’hui et qui explique ce qu’il subit.

De la même manière que Gilles Deleuze disait que, lorsque l’on aime un auteur, il faut tout prendre, tout aimer, défendre Julian Assange suppose de tout défendre. C’est à cette condition en effet que notre mobilisation est susceptible de ne pas le trahir, de ne pas l’emprisonner une deuxième fois, de ne pas être complice des forces gouvernementales, et que nous pourrons continuer à faire exister dans l’espace public le projet de déstabilisation radicale et libertaire qu’il a inauguré -et ainsi, en quelque sorte, à le maintenir en vie parmi nous le plus longtemps possible.

https://npa2009.org/idees/societe/ce-nest-pas-la-democratie-qui-meurt-cest-julian-assange

Uebersetzung: 
In einem 1986 veröffentlichten Text argumentiert Jacques Derrida, dass es Momente in der Menschheit gibt, in denen das Schicksal bestimmter Individuen das verkörpert, was er das "Schicksal der Menschheit" nennt - die ganze Welt. Ihr Leben verdichtet eine Situation, in der jeder von uns das Gefühl hat, dass die allgemeine Gouvernementalität, die Ökonomie der in der Welt wirkenden Kräfte auf dem Spiel steht, und der jeder von uns, trotz seiner selbst, ausgesetzt ist. Derrida erklärt, dass, als er 1986 diesen Text schrieb, die Person, deren Leben diese ganze Welt zusammenfasst, Nelson Mandela ist. Er erwähnt auch, was in Palästina-Israel geschieht. Ich denke, dass das, was heute um Julian Assange herum geschieht, eine solche Situation darstellt, in der das Schicksal der Menschheit auf dem Spiel steht. Was mit ihm geschieht, ist ebenso wichtig und sollte weltweit dieselbe Empörung hervorrufen wie die von Nelson Mandela. Dasselbe gilt in diesem Kampf für den Schutz von Leben und Tod, Krieg und Staat, Recht und Gerechtigkeit. Es ist auch eine Frage der Rasse. Tatsächlich könnte die Tatsache, dass Edward Snowden in Europa oder den Vereinigten Staaten mehr Sympathie als Assange hat, dadurch erklärt werden, dass Snowdens Lecks weiße Westler betrafen, während viele der WikiLeaks Jemeniten, Afghanen, Iraker.... Der Auslieferungsprozess von Julian Assange wird am Montag, den 24. Februar, in Großbritannien eröffnet. Wird er an die Vereinigten Staaten ausgeliefert, drohen ihm 175 Jahre Gefängnis wegen "Spionage". Julian Assange ist heute, wie Éva Joly vor einigen Wochen in Le Monde schrieb, "in Todesgefahr". Er ist einer psychischen und physischen Folter aus dem Vereinigten Königreich ausgesetzt. Zwischen 2012 und 2019 war er ein Einsiedler in der ecuadorianischen Botschaft in London, und während dieser 7 Jahre war er nicht in der Lage, hinauszugehen, herumzulaufen und die Sonne zu sehen, was sich nachhaltig auf seine Gesundheit auswirkte. Assange ist Teil der Geschichte der politischen Dissidenz - aber auf eine ganz besondere Art und Weise. Normalerweise könnten politische Dissidenten aus dem Ostblock, China, Russland, Kuba und Südafrika, westliche Länder wie die Vereinigten Staaten oder England als mögliche Aufnahmeorte in Betracht ziehen. Sie könnten diese Länder als Vorbilder für Recht und Demokratie etablieren und ihre Opposition gegen die Regime, in denen sie lebten, auf diese Beispiele stützen. Aber welches Modell können Julian Assange, aber auch Edward Snowden, Sarah Harrison, Chelsea Manning, heranziehen, wenn gerade die Länder, die eine Art Ideal zu verkörpern schienen, zu Orten politischer Verfolgung und Ungerechtigkeit werden? Wir haben es hier mit einer Klasse von Dissidenten zu tun, die Waisenkinder jeglicher Zukunft und Gegenwart sind. Würde das Schicksal dieser Personen nicht zeigen, dass wir jetzt am Ende einer bestimmten Geschichte der Demokratie stehen, d.h. in einer Zeit, in der alle Werte, auf die wir uns früher gestützt haben, in einer Krise stecken? Es ist sehr schwierig für uns, diese Figuren unter Berufung auf die Werte des Rechtsstaates zu verteidigen, da gerade der Anspruch auf Rechtsstaatlichkeit sie verfolgt. Assanges Inhaftierung ist rechtmäßig und steht im Einklang mit der Rechtsstaatlichkeit, Chelsea Mannings Folter und erneute Inhaftierung sind legal, die Gefängnisdrohung für Snowden und der Entzug ihrer Fähigkeit, Tantiemen für ihr Buch einzutreiben, durch US-Gerichte sind legal. Und diese Entscheidungen werden nicht von Regierungen getroffen, sondern von Richtern, die wir als unabhängig bezeichnen und für deren Unabhängigkeit wir oft kämpfen, um sie zu schützen. Wir befinden uns hier nicht in einem Ausnahmezustand, sondern in einer Manifestation der Rechtsstaatlichkeit. Es sind daher alle unsere üblichen Kategorien, die schwankend sind. Wir müssen zum Beispiel vorsichtig sein, wenn wir die Kategorie der Legalität und der Kriminalität verwenden. Die Infragestellung der staatlichen Illegalismen, die durch WikiLeaks aufgedeckt wurden, ist wirksam, um Assanges Praktiken zu rechtfertigen, aber wir dürfen nicht vergessen, dass es auch auf unserer Seite Illegalismen geben kann, dass die Linie nicht klar ist und dass wir deshalb auch in der Lage sein müssen, unsere Analysen nach anderen Kriterien zu entwickeln. Heute ist es dringend notwendig, uns für Julian Assange zu mobilisieren, um Julian Assange herum, ohne jede Nuancierung. Manchmal stelle ich fest, dass es eine Tendenz gibt, Julian Assange nicht in den Mittelpunkt der Aufmerksamkeit stellen zu wollen. Wir stellen ihn zu anderen oder ordnen ihn einem breiteren Spektrum von Ursachen zu: Informanten, Journalismus, Recht auf Information, Demokratie. Aber irgendwann müssen wir über ihn sprechen. Viele Menschen zögern, darüber zu sprechen. Sie sagen, dass sie ihn trotz der Tatsache, dass er ein problematischer Charakter ist, trotz allem, was man von ihm denken mag, trotz der Aussagen, die er vielleicht gemacht hat, unterstützen https://npa2009.org/idees/societe/ce-nest-pas-la-democratie-qui-meurt-cest-julian-assange
Uebersetzungsstatus: 
Artikel ist fertig übersetzt
Lizenz des Artikels und aller eingebetteten Medien: 
Creative Commons by-sa: Weitergabe unter gleichen Bedingungen